Alertoplum

ABC d'enfance

 

 

 

 

Il y a des textes tellement réussis qu'on se moque bien de la consigne qui les a fait naître...

 

 

Au loin des sirènes, encore une alerte. Elles insistent les sirènes. Au dessus de nos têtes les avions semblent raser les toits. Nous, au 7° étage de l'immeuble, nous les cinq filles plus trois, nous continuons à rire, à nous chamailler. Mais il faut faire vite, on entend des pieds pressés dévaler les escaliers. Rendez-vous à la cave. Je n'irai pas m'y réfugier, je ne veux pas que grand-mère reste seule. C'est moi qui dis ça, et je pleure. "Coeur d'artichaut" entonne le choeur des joyeuses délurées. Je m'accroche à ma branche de têtue, je ne descendrai pas, crotte et crotte ! Laisser grand-mère, je pleure encore un petit coup, et ma dent de lait sous mon oreiller faut-il aussi que je l'abandonne lâchement ? Edentée, peut-être, têtue, oui. "Fille de ton père, va" ! File à la cave, cesse de pleurer. Sans hâte, espérant je ne sais quel miracle, la fausse hostie en pain de mie que mes complices m'avaient enfournée en jouant à la messe reste coincée en travers de ma gorge. Ca y est, l'impétigo me guette, c'est quoi un "pétigo", un animal, un monstre, un bonbon ? Est-ce que ça s'achète au kilo ? Personne pour me répondre. Pas le temps de m'attarder sur ce "pétigo" là et pourtant je suis jalouse, elles en toutes eu du "pétigo" et pourquoi pas moi ?
Libre.
L'alerte est passée, la maison n'est pas toute écrabouillée.

Libre ? Non, maman me demande de tendre mes avants bras. Elle détricote un pull tout pourri, il faut faire des écheveaux. Elle s'en servira plus tard pour tricoter des moufles, il fait si froid en cet hiver 42. Nos doigts gelés ne peuvent même plus tourner les pages du missel quand on va à la messe... Rester là, les bras tendus, non, non et non. C'est pas parce que j'ai eu les oreillons et que je n'ai pas le droit de sortir, que je dois tendre les bras. Dans un coin de la cuisine mon pot à lait en métal à l'air bien seul. Mon pot à
lait, c'est mon grand ami, c'est avec lui que je m'éclipse, malgré les quolibets des jalouses, pour aller à mes petits rendez-vous secrets avec le fils de la boulangère. Vite, mes semelles de bois à la main, les tickets d'alimentation dans la poche, je file, vers mon petit univers secret. Des vieilles femmes emmitouflées à la va comme j'te pousse se faufilent dans la queue sans fin des clients ajoutant ainsi un wagon à ce long cortège d'affamés patients. Et moi aussi je glisse discrètement dans cette queue, mais moi je suis impatiente. Sera-t-il là ? On va l'appeler "X", pour garder le secret. Mon tour arrive. "Yabon", c'est notre mot de passe. J'en zozotte de joie. Il n'y a pas que du mauvais dans la guerre...

 

Marimad

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La consigne était celle-là : dans un premier temps un Abécédaire sur l'Enfance et, ensuite écrire un texte contennt, dans l'ordre, tous les mots de l'Abécédaire...

 

 

 

Abécédaire d’enfance

 

A comme les petits anges de porcelaine que ma tante Madeleine collectionnait. Elle adorait les bébés et sitôt qu’ils grandissaient elle ne s’y intéressait plus. Elle s’est débarassé des trois ainés chez les enfants de troupe…

 

B comme banane ou banania … Y a bon cette grosse tête noire sur les boites jaunes

 

C comme corbeaux. J’aimais beaucoup ces oiseaux noirs, je les trouvais beaux.

 

D  comme doudou. Je n’en ai jamais eu.

 

E comme éléphant, quand Tom en a vu un au cirque pour la première fois à 3 ans il a dit : « Ils auraient pu au moins le nettoyer il est tout gris. »

 

F  faon c’est un mot bizarre, comme taon…Que fait ce « O »  au milieu qui ne s’entend même pas.

 

G c’est la génuflexion obligatoire le premier vendredi du mois, à la chapelle. Mes collants blancs revenaient tout tachés de la cire des bancs.

 

H  comme  Jeanne Hachette. C’est qui celle-là ?

 

I comme Isabelle, le nom de ma cousine que j’appelais bien sûr Isamoche.

 

J, ça c’est Jean, mon oncle-parrain, menuisier qui me laissait jouer avec la sciure de son atelier.

 

K pas le droit de la dire et encore moins de la répéter deux fois cette lettre-là.

 

L comme Longe-porte , le nom de la rue de Langres (tiens, encore un L) où habitait mon affreuse tante Madeleine.

 

M comme moi, comme Mo, comme Monique. Quand je pense que ma mère voulait m’appeler Joëlle mais que mon père ne s’en souvenait plus en arrivant à la mairie.

 

N. Nicotine, j’adorais ce mot là.

 

O. Olive. Ça ressemble à des crottes de bique sur la pizza.

 

P Parrain voire à J.

 

Q voire à K

 

R. Roudoudou, aussi inconnu que le doudou. Ma grand-mère disait qu’en manger donnait des boutons.

 

S. Saumon. Un poisson. Il a beau être rose, c’est pas bon.

 

T comme tartine de pain avec 2 sucres, seul goûter chez les pauvres, après la guerre.

 

U. Usufruit. Sur quel arbre ça pousse ce fruit-là ?

 

V Voiture à pédales, rouge et rutillllllante, celle qu’on a offert à noël à mon petit frère pour en faire un bon conducteur de l’automobile qu’on lui offrirait, évidemment plus tard, pour ses dix-huit ans.

 

W comme wagons de chemin de fer, sous mes fenêtres, rue de l’Aiguillon.

 

X Xavier. Mon cousin préféré. Il habite maintenant au Lorrou-Bottereau.

 

Y. Y a bon Banania, voire à B.

 

Z. pas Zazie, pas Zadig. Chez moi, pas de culture… peut-être zazou, à la rigueur, blouson noir de mauvais genre que ma mère craignait comme  la peste et chassait de la maison dès qu’ils rôdaient autour de ma grande sœur à jupon corolle.

 

 

 

 

 

L’Enfance de A à Z

 

L’ange de porcelaine me regardait en haut de l’étagère manger goulument ma tartine de pain sec. J’avais bien envie de lui faire des grimaces. J’avais l’impression qu’il me surveillait, tout  décidé à raconter à mon énorme tante Madeleine combien je mangeais salement  et comme je cachais les miettes sous le vieux tapis persan du salon. Cet ange m’agaçait avec sa peau blanche, ses lèvres rouges et ses bouclettes jaune banane exactement les mêmes que celles de mon petit frère. Moi, avec mes cheveux en baguette de tambour noir corbeau, j’avais l’air de revenir du Vietnam : pauvre petite orpheline sans doudou parvenue du fin fond de la jungle à dos d’éléphant. Je m’imaginais une enfance de faon perdu à défaut d’enfant perdu. Mon petit frère était beau et blond comme un prince, d’ailleurs il s’appelait Igor…moi j’avais l’air d’une « petite souillon » comme disait ma grand-mère lorsqu’elle voyait mes collants de coton blanc toujours sales aux genoux. J’avais beau lui parler des génuflexions à la chapelle sur les Prie-Dieu rutilants de cire, elle ne voulait pas me croire et m’accusait d’avoir encore grimpé sur les poteaux électriques malgré son interdiction depuis l’affreux jour où un concours de saut en hauteur dans le tas de sable (presque) en dessous s’était terminé aux Urgences, mon copain Platini ayant malencontreusement évité le tas de sable.  Il faisait le malin avec son plâtre. Moi, je lui parlais plus. Il avait dit que tout était de ma faute, que je l’avais forcé à sauter… et puis quoi encore !

 

Depuis mes aventures de Jeanne Hachette à la manque j’étais privée de sorties vagabondes avec les enfants du quartier. Pour occuper mes longues séances chez ma tante j’allais chercher dans l’atelier de son frère ainé de petits rectangles de bois que j’empilais avec délice pour en faire des tours infernales qui s’écroulaient avec un bruit de castagnette qui la faisait enrager. Je n’avais jamais eu de cubes, de jeu de construction, encore moins de Kapla, et l’intérêt de ce petit jeu de 3 francs six sous étaient qu’on pouvait le jeter dans la grande cheminée de la rue Longe-porte, et qu’il brulerait gentiment sans laisser de traces sinon une jolie fumée grise qui rejoindrait les nuages glacés du ciel de Langres. Cette ville construite sur un plateau était glaciale et toujours ventée. Ma grand-mère me disait qu’il fallait lui mettre des briques dans les poches pour qu’elle ne s’envole pas sur le chemin de l’école. Des fois je regrettais bien qu’elle ne se soit pas envolée, surtout quand elle nous obligeait à manger son affreuse soupe à l’oignon ou lorsqu’elle oubliait d’enlever le papier d’argent des suppositoires, des fois j’en étais bien contente, quand elle me racontait son enfance et sa façon de voler par dessus les toits avec les oiseaux...

En tout cas la superbe cathédrale de Langres s’appelant Saint Mamert, je croyais que c’était Saint mémère et j’étais drôlement fière que ma grand-mère ait une cathédrale à son nom jusqu’au jour où ma sœur, mademoiselle je-sais-tout, qui d’ailleurs sait presque tout, puisqu'elle parlait latin à 6 ans,  m’a expliqué mon erreur. Heureusement qu’elle était là pour me les corriger ces « erreurs grossières », comme elle disait… Erreur je veux bien, l’école me rase et je suis bête à manger du foin… mais grossière, là je ne suis pas d’accord il y a plein de gros mots dans ma tête mais je ne les dis jamais… Même les lettres K ou Q, vous pouvez me brûler la plante des pieds, je ne les dirai pas ! Et oui, moi, Monique la vilaine avec son teint de nicotine, ses yeux comme des olives, je suis une enfant sage. Souvent je rêve. Je ne réponds pas aux questions car je rêve. Et cette fois c’est mon parrain qui me parle et je ne comprends rien : « Tu as l’air d’une annamite » dit-il en me prenant le menton entre ses gros doigts de menuisier. Il ne dit pas ça méchamment, c’est peut-être gentil finalement une annamite même si les mites font des petits trous dans la laine des manteaux rangés tout l’hiver dans le placard du grenier.

 

« Bon je suis une drôle de petite bête, d’accord, si ça t’amuse, parrain » et il rigole… Qu’est-ce qu’il rigole… il a moins ri le jour où j’ai eu l’idée de lancer en l’air sa boule de pétanque, si belle si brillante pour qu’elle rejoigne ses copines les étoiles dans le ciel… assommée, j’ai dormi quatre heures sans qu’on m’emmène à l’hôpital, sans qu’on me console avec une sucette ou un roudoudou – ma grand-mère dit que ça donne des boutons. Plus tard elle me dira que c’est d’embrasser les garçons qui donne les boutons, faudrait savoir…

 

Je n’en suis pas encore là, j’arbore une bosse rose saumon sur le sommet du crane qui va bien mettre un mois à disparaître. C’est peut-être depuis ce jour-là que j’ai une drôle de tête, finalement… Ah non l’histoire de la mite Anna, c’était avant.

 

Pour nous consoler de nos petites misères, pas de bonbon donc, jamais, je crois que je n’en ai jamais gouté avant les dragées de ma première communion. Pour le goûter, une tartine de pain dur et deux sucres et pas question de se plaindre : il fallait penser aux petits enfants d’Afrique qui n’en connaitraient jamais la couleur. Pareil quand on devait avaler la morue aux nouilles à la cantine… moi qui ai demandé à notre professeur d’institution religieuse ce qu’il faut faire pour être martyr, je n’ai même pas eu le début de l’idée qu’on pouvait commencer par là… Je gardais en usufruit de toutes ces petits malheurs à la queue leu leu, une sorte de mal-être qui ne cédait pas et qui augmentait à chaque fête de Noël lorsque je devais me contenter d’un misérable parapluie à tête d’oie quand mon frère se voyait offrir une voiture à pédale d’un rouge éclatant…

 

J’écrivais ma peine, mes rêves, en petits bouts rimés sur des papiers secrets que je tournais en papillotes avant de les jeter sur les wagons qui passaient sous le pont du chemin de fer au bout de la rue de l’Aiguillon. C’était finalement le même reflexe que les enfants japonais qui jettent des petites lampes en papier dans les fleuves pour que le souvenir de la tristesse s’en aille plus loin. Quelquefois j’allais confier ma peine à Xavier, mon cousin préféré, d’un an mon ainé, qui me disait philosophiquement « Y a rien à faire. Y a qu’à attendre. Un jour tu seras grande. Tu pourras faire ce que tu veux. »

 

Bon ça y est, je suis grande, j’ai développé l’abécédaire de l’Enfance du « A » de l’ange au « Z » des zèbres, zoulous et autres joyeusetés africaines… et j’ai bien l’impression que je ne fais toujours pas ce que je veux.

 

MO

 

 

 

 


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