Alertoplum

Le manteau

Le MANTEAU à 10 POCHES

On a trouvé dans le vestiaire un grand manteau avec dix poches de couleurs différentes...

 

 

 

 

J’ai trouvé sur le sable un grand manteau noir en poil de chèvre, rugueux, profond, plein de plis et de senteurs poivrées, en tas, abandonné là depuis peut-être un siècle. Quand je l’ai déplié j’ai vu des petits carrés de couleurs sauter comme les échantillons magiques d’un arc en ciel perdu dans la nuit. Il y avait des poches, pleins de poches de couleur, cachée dans les replis.

J’ai trouvé une poche de lune, transparente et blanche pour y mettre les amours tièdes et finis.

Une poche coquelicot pleine de mots d’amour inutilisés. Ils étaient prisonniers, vivants, mordants comme l’amour même.

De la poche bleue coulait la mer des regrets et des sarcasmes, en grelots continus et acides

La poche céladon cachait des haïkus parlant de nature et de fleurs.

Dans la poche brune une petite femme dormait.

La poche orange suintait de jus de fruits en rigoles odorantes et poisseuses de sève.

Dans la poche violette, mon ami Denis écrivait des faire-parts.

Dans la noire un oiseau menteur tissait son nid avec des pelotes de demi-vérités

Dans la poche rousse un renard ton sur ton ronronnait, en arc de cercle, du nez pointu jusqu’à la queue, endormi sur la sauvagerie du monde.

Et puis il y avait des poches qui chantaient, les roses, les jaunes, les vives, elles chantaient l’hymne du Brésil et clignotaient comme des lampions. Je restais longtemps dans la poche grise à jouer avec les rubans de brume et de brouillard. Mais il en restait une encore, la dernière, la poche d’or.

J’ai mis la main en tremblant dans la poche d’or. J’avais peur d’un piège, d’un malheur qui pourrait m’arriver à cause de mon appât du gain. Mais, justement, dans cette poche d’or, il n’y avait rien. Le trou. Le vide. Le néant. Mais aussi l’angoisse de l’avenir, le questionnement pointu comme une flèche. Vite, comme à mon cœur défendant, ma main, s’y engouffra, puis mon bras tout entier et enfin mon corps s’y jeta aussi, avalé dans cette béance lumineuse. Je sus que la poche d’or était le gouffre des lendemains. Même si le ciel bruissait de toutes les nuances métalliques de l’or, comme dans la symphonie éclatante d’un orchestre de cuivre, je fermais les yeux. C’était trop vif. C’était blessant. Je pleurais longtemps, baissant la tête sous ces éclats glacés. L’avenir faisait mal. Puis dans cette cacophonie une autre musique me parvint, celle des carrés pastels des autres poches. Bercée peu à peu par la tendresse des quatorze touches colorées qui venaient cajoler ma mémoire, je m’endormis.

Monique

 

La jeune recrue arborait la veste militaire réglementaire. Quelle fierté de la porter pour la 1ère fois. Une chose l’intriguait : mes poches. Il avait l’habitude des pantalons aux poches multiples de toutes tailles, de tous usages mais là… il aurait dû les compter une à une jusqu’à ce chiffre mirobolant de 15. Avec fermetures éclairs, sans, avec pressions, sans, avec petits liens, sans…il imaginait qu’en opération il aurait eu un équipement adapté et de quoi les remplir, mais au quotidien, qu’y mettrait-il ? ce serait amusant, pensa-t-il de leur trouver une fonction, et à toutes. Oui, mais par exemple, a-t-on le droit d’y mettre une photographie, un article de journal, des rognures d’ongles, un trèfle à quatre feuilles, des chewing-gum : il ne savait pas du tout si c’était permis. De toutes les consignes déjà édictées, énoncées, retenues…ou pas il ne semblait pas lui avoir été dit, pas par qui que ce soit, au sujet du « treillis. » En attendant d’éventuelles rafles dans ses poches il commençait de ranger dans la toute première sa chanson préférée, dans la seconde in baiser brûlant, dans la troisième un joli petit poème, la quatrième un grossier juron, la cinquième d’affreux hurlements, la sixième des rires tonitruants, la septième des bonbons piquants, la huitième des photos de ses frangins, et la neuvième celle de sa copine du moment, la dixième, une lettre de ses parents quand il était en colo à 10 ans et qu’il pleurait tant, dans la onzième un morceau de musique planante, la douzième un air de techno bien saignant, la treizième un projet d’avenir, la quatorzième le rude présent, la quinzième…un adieu à la liberté.

Du vrai et du faux comme dans la vie quoi !

Mariette

 

 

  Que de couleurs, que de poches sur cette djellaba, bougonnait la poche bleue. Cet incident ce matin, il valait mieux qu'elle n'y pense pas trop. Elle en était rouge de colère, si rouge qu'elle en devint mauve. Pourquoi  avait-il fallu que cette pimbeche de poche jaune sorte de son mutisme habituel . Elle avait réussi à semer le doute de bas en haut de la djellaba qui se mit à frissonner de toutes ses poches aux couleurs différentes, on aurait dit un arc-en-ciel ! Voilà la poche jaune qui se renfrogne, elle ne peut pas supporter qu'on aborde ce sujet. Elle se dirige vers la poche bleue, et pendant un instant ce ne fut plus qu'une grosse poche verte. La bleue elle se laissa submerger par des vagues  de pensées noires. Un moment elle pensa devenir noire, c'est la poche grise qui la sauva. Prenant un air détaché, elle la toisa. Ce n'est pas un hasard si elle était grise. Le gris c'est rien, c'est du blanc et du noir, pas étonnant qu'elle soit éteinte. Même cette oie blanche de poche blanche qui fait semblant de ne rien , un entendre,un comble. Elles sont souvent complices elle et la jaune. La djellaba en avait perdu son éclat multicolore. Les chewings gum tout machouillés que la poche bleue avait glissés dans toutes les poches , honteux s'étaient déssechés !

Marie Madeleine

 

 

Balthazar souriait, somnolant, bercé par le pas lent et tranquille de son chameau. Il pensait à l'enfant et à sa joie devant les cadeaux qu'il lui avait apportés. Il se rappelait  les cris de bonheur de Shalabah et Massoudy lorsqu'il leur avait fait la même surprise en revenant de son long voyage aux Indes.

Aujourd'hui, il partait pour la Palestine.

Il y a quelques temps déjà, Melchior et Gaspard étaient venu lui annoncer la naissance d'un enfant, le messie des hébreux à ce qu'on disait. Il venait de naître à Bethléem. La nouvelle était d'importance et suffisamment de monde en parlait pour qu'ils aillent le saluer et se rendre compte par eux-même de celui qu'on traitait déjà comme un roi.

 

Et puis, Gaspard avait lu dans les astres que cette naissance allait changer le monde. Elle apporterait la paix, mais aussi la guerre. Enfin, il n'avait pas bien su interpréter les signes. C'était étrange d'ailleurs, une telle configuration dans ce ciel de naissance. Il ferait de grandes choses mais il serait trahi par les siens, il apporterait l'amour mais il ferait la guerre au nom de cet amour. Enfin, il ne savait pas bien. Gaspard ne voulait pas en dire plus et comme c'était lui le spécialiste en astrologie, les autres n'avaient pas posé de questions. On verrait bien.

 

Pour l'heure, Balthazar était tout à sa joie de ce voyage. Il aimait bien voyager. Les caravanes étaient assez lentes pour qu'il profite du paysage tout en pensant à mille choses et puis les arrêts dans les oasis permettaient des rencontres avec d'autres caravanes venues d'autres pays. Il aimait bien connaître leurs habitudes, leurs coutumes. Ils échangeaient de la marchandise : des soieries contre des dattes, du sel contre des parfums. Et oui, sa femme en raffolait.  Ils parlaient aussi de la famille, des enfants, des petits enfants, de la vie économique, du marché bien difficile en ce moment. Et puis, le temps passait lentement, tranquillement.

 

Ce voyage là était différent.  D'ailleurs, ce n'était pas vraiment un voyage. Ils partaient en visite et Gaspard et Melchior avaient dit qu'ils devaient  apporter des cadeaux. Ils étaient rois et  leurs cadeaux seraient en conséquence de leur richesse : de l'or bien entendu, de l'encens et de la myrrhe. Oui, de la myrrhe pourquoi pas. C'était un produit de luxe. Pour un messie et au cas où d'autres rois se seraient déplacés, ce présent ferait de l'effet.

 

Mais Balthazar avait son idée. Il pensait bien  que de l'or, certes la famille  en ait sûrement besoin, mais qu'allait elle faire avec de l'encens et de la myrrhe. Sur qu'ils n'étaient pas riches mais  tout le monde savait que les hébreux n'avaient qu'un seul Dieu et qu'ils lui offraient des sacrifices d'animaux. Ca sentait assez mauvais la viande brûlée des qu'on approchait du Temple, à Jérusalem. Des parfums, bien sur,  les prêtres s'en servaient  autour de leurs autels pour dissiper  l'odeur, mais un tel cadeau pour un enfant !!!!

 

Alors il était allé chercher son grand manteau en poil de chèvre, celui qui se transmettait de génération en génération, dans sa famille : un grand manteau avec dix poches. C'était du temps où ils étaient nomades et pauvres. Ils ne possédaient qu'un troupeau de chèvre qu'ils gardaient de pâturages en pâturages. Ils dormaient dehors et les nuits étaient froides. Alors une lointaine grand'mère l'avait confectionné pour son mari. Lorsqu'il partait, elle remplissait les poches de toutes sortes de choses dont il avait besoin et surtout de nourriture. Ainsi, le berger ne portait pas de sac et le manteau lui servait de couverture pour les nuits froides. Mais sa famille s'était enrichie, maintenant ils étaient rois et mages de surcroît.. Lui-même dormait sous une tente et lorsqu'il partait en voyage, les serviteurs étendaient des couvertures dans lesquelles il s'enroulait pour dormir. Mais il avait conservé ce manteau et il le sortait de temps en temps.

 

Il avait compté les poches et consciemment il avait rempli chacune d'un cadeau, à sa manière : une gargoulette qui imitait le chant du rossignol, un pipeau, un arc-en-ciel acheté en Chine, un hochet en argent rapporté de Russie, du beaume du tigre pour les rhumes, un doudou lapin, une couverture rapportée du cachemire, en laine légére, légére, un petit agneau pour qu'il devienne son ami, une jolie voiture en bois et dans la dernière, rien que des surprises. Il demanderait alors à l'enfant d'y mettre sa main pour en sortir un dernier cadeau. Et là Balthazar, qui comme chacun sait était magicien, ferait apparaître des colombes, des rubans, des couleurs, des confettis en forme de cœur, des mouchoirs en soie multicolores, des bonbons de miel et des sucres d'orge, des pommes d'amour...  Comme l'enfant serait heureux !!! Et Balthazar souriait, bercé par le pas lent et tranquille de son chameau.

 

Claire

Elle portait un pardessus grisâtre élimé aux épaules qu’elle avait dérobé dans le placard à secrets de sa grand-mère ; mais c’était un manteau d’homme. Elle le fermait d’une large ceinture marron sur laquelle elle enfilait une poche jaune soleil, dans laquelle elle glissait chaque matin l’objet qui lui serait le plus utile ce jour-là ; une poche couleur du jour. Une autre poche avait été cousue sur le dessus de sa manche droite. Elle était d’une étoffe légère et douce qui protégeait la photographie d’un abribus glorieux, stoïque et magnifique sous l’épais manteau de lierre et de ronces qui le mangeait jusqu’à l’aliénation et lui offrait pourtant deux fois l’an les bijoux les plus éclatants qui soient.

 

Une large tache cyan s’étalait sur sa poitrine, à droite, et contenait les débris d’un vase, renversé à quinze ans, dont l’éclatement avait libéré les cendres d’un ancêtre inéternuable, et qu’elle reconstituait parfois pour mieux le briser à nouveau en poussières d’étoiles.

 

A la hauteur de sa main gauche, sur le côté, un velours gris bleuté aux pois d’argent accueillait le livre du moment. Parfois, elle glissait dans sa capuche rouge une pomme ou du tabac.

 

Mais dans la doublure de son pardessus, dont l’entrée était tout contre sa peau, nul ne sait ce qui s’y cachait. De ce qu’on en soupçonnait depuis l’endroit d’où elle se laissait observer, on pouvait dire que cela semblait chaud, doux, et effrayant. Certains disaient que cette poche à l’échelle même du vêtement contenait de quoi écrire

 

tout

 

contre

 

toutes les pages de sa vie. D’autres encore se murmuraient qu’il n’y avait rien, que du silence

 

et de la nuit

 

multicolore.

 

Marie-Emilie

 

 

 

Dans ma djellaba il ya la poche rouge colère

La plus usée

La verte jardin en avril

La brune, terreau des rempotages

Et su j’y plonge la main, mes ongles en sortent faire-part de deuil

Et de germinations

La jaune, ocre d’Antibes

Mica et sable entre les orteils

 

La saumon en papillotes avec une petite persillade et pas mal de crème fraîche

La rousse, toute une généalogie de chats au ventre blanc et aux yeux jaunes

La cerise, tendre la main, attraper la plus mûre

La bleue parce que la mer, bien sûr

La blanche, plage de la page qui se tait

 

La grise le matin parce que je suis du soir

La sans épithète, ventée par l’autant qui décolore tout

 

Toutes les autres sont noires

Pleines de celle qui fut, est  et sera

L’aveugle qui vous dot je.

 

Magali

(jeu inspiré par la djellabah magique, Texte de Tahar Ben Jelloun)


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